VIH, commerce du sexe et application de la loi en Chine
Tingting Shen et Joanne Csete
Résumé
La prévalence du VIH est faible en Chine dans la population générale, mais plus élevée parmi certaines populations clés touchées par le VIH, dont les professionnel(le)s du sexe. La vente et l’achat de services sexuels constituent des infractions pénales. La police se livre à des pratiques humiliantes et répressives envers les professionnel(le)s du sexe. Selon une étude rapportée ici et fondée sur l’expérience de plus de 500 professionnel(le)s du sexe, les violations des droits de l’homme dont les professionnel(le)s du sexe font l’objet de la part de la police compromettent directement la riposte au VIH mise en œuvre par la Chine à l’égard des professionnel(le)s du sexe. L’utilisation des préservatifs par la police pour prouver l’existence de rapports sexuels tarifés constitue un élément important de ce phénomène ; elle entrave la possession et l’utilisation de condoms par les professionnel(le)s du sexe. Tandis que dans certains pays, des collectifs de professionnel(le)s du sexe ont aidé leurs membres à résister à la police et à continuer à utiliser des préservatifs, en Chine, les restrictions visant la société civile rendent une telle stratégie impossible. Ne plus considérer le commerce du sexe et les activités connexes comme des infractions au regard du droit chinois, quelle qu’en soit la difficulté politique, améliorerait la situation. Autrement, le renforcement de la coordination et de l’harmonisation stratégique entre les rôles et les autorités de santé publique et de police serait aussi utile.
Introduction
L’épidémie de VIH en Chine se caractérise par une prévalence faible dans la population générale mais plus élevée parmi les populations clés touchées par le VIH, dont les personnes qui s’injectent des drogues, les professionnel(le)s du sexe et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Selon les chiffres du gouvernement, la transmission par voie sexuelle est responsable de la majorité des nouveaux cas de VIH ; en 2014, on estimait qu’environ 25 % des nouveaux cas étaient liés à des rapports sexuels entre hommes.1 Il n’y a pas de consensus officiel sur le nombre femmes professionnelles du sexe en Chine, mais la plupart des estimations suggèrent qu’elles seraient plusieurs millions.2 Enfin, les informations sur le nombre de professionnel(le)s du sexe transgenres et masculins (cisgenres) sont limitées. (Sauf mention contraire, dans cet article, « femmes professionnelles du sexe » fait référence à des femmes cisgenres ayant des rapports sexuels tarifés, et « hommes professionnels du sexe » à des hommes cisgenres. « Femmes transgenres » désigne des personnes nées hommes qui sont devenues femmes.) Le commerce du sexe est interdit par le droit administratif et certaines des activités qui y sont associées constituent des infractions pénales, comme décrit de manière plus détaillée ci-dessous.
Tandis que les autorités chinoises continuent de réprimer le commerce du sexe, le gouvernement a mis en place des politiques et des programmes qui visent à prévenir la transmission sexuelle du VIH et qui incluent le vaste déploiement de programmes de promotion du préservatif et du dépistage du VIH. Or, il est fréquent que la police cherche et confisque les préservatifs détenus par les professionnel(le)s du sexe et les utilise pour prouver l’existence de rapports sexuels tarifés dans le but de détenir ou punir les professionnel(le)s du sexe, ce qui sape les résultats en matière de santé publique des programmes de promotion du préservatif.3 Cette pratique policière a été rapportée dans de nombreux articles, mais son impact sur la vie et les droits des professionnel(le)s du sexe, du point de vue des professionnel(le)s du sexe, n’a pas été beaucoup étudié. Des mécanismes ont été établis depuis le palier central jusqu’aux paliers locaux pour coordonner et mobiliser les départements pertinents (dont les responsables de la police et de la sécurité) afin de soutenir la prévention du VIH, mais ceci n’a pas fonctionné. Le gouvernement a également souligné l’importance de l’implication de la sécurité publique dans la riposte au VIH, y compris pour soutenir la promotion du préservatif dans les lieux de divertissement.4 À ce jour, il n’existe toutefois pas de document ou de plan définitif précisant comment la police doit mettre ceci en œuvre, qui est responsable de vérifier si elle le fait et comment elle le fait. Cet article explore ce vide, il présente les récits de professionnel(le)s du sexe qui ont été personnellement témoins des pratiques policières en question et de leur impact sur la capacité des professionnel(le)s du sexe à se protéger du VIH. Nous examinons également d’autres données scientifiques démontant l’impact de la surveillance policière sur la santé des professionnel(le)s du sexe en matière de VIH.
Méthodes
Asia Catalyst est une organisation de défense des droits de l’homme qui œuvre avec des organisations communautaires afin de promouvoir le droit à la santé de communautés marginalisées en Chine et en Asie du Sud-Est. En 2015, elle a travaillé avec quatre organisations de professionnel(le)s du sexe en Chine pour mener une enquête auprès 517 professionnel(le)s du sexe féminins, masculins et transgenres. L’objectif de l’enquête était de comprendre l’interaction des professionnel(le)s du sexe avec les forces de l’ordre, l’impact de cette interaction sur l’utilisation du préservatif et, par conséquent, son impact sur la riposte au VIH dans le contexte du travail du sexe en Chine. (Pour des raisons de sécurité, le nom des quatre organisations de professionnel(le)s du sexe n’est pas fourni dans cet article.) Ces organisations ont été choisies parce que (1) elles travaillent avec des professionnel(le)s du sexe de différents genres et ont une connaissance et une expérience approfondies de cette communauté ; et (2) elles sont respectivement situées dans trois villes du nord, de l’est et du sud-est de la Chine, et reflètent donc des situations variées au plan géographique.
L’enquête a combiné des méthodes quantitatives et des méthodes qualitatives. Les données quantitatives ont été collectées au moyen d’un questionnaire rempli par 517 professionnel(le)s du sexe sélectionné(e)s par échantillonnage à l’aveuglette au cours du travail de proximité régulier des quatre organisations. Aux répondants ayant déclaré qu’ils avaient déjà été confrontés à la recherche ou la saisie de préservatifs par la police, l’interviewer a demandé un entretien plus détaillé sur cette expérience. Un total de 74 professionnel(le)s du sexe a participé à cet entretien complémentaire.
Il n’y a pas eu de processus d’approbation éthique, mais l’engagement d’Asia Catalyst à l’égard de l’évaluation communautaire fondée sur les droits était bien connu des quatre organisations participantes. Un consentement éclairé écrit a été obtenu de la part de tous les participants. Les répondants à l’étude comme à l’entretien ont reçu un petit présent en considération du temps accordé. Chaque organisation participante a compté et saisi les réponses au questionnaire dans une base de données sans information d’identification individuelle. Les programmes SPSS 13.0 et Microsoft Excel ont été utilisés pour analyser les données et cerner les tendances. Tous les entretiens en profondeur ont été enregistrés à l’aide d’enregistreurs vocaux numériques. Les enregistrements ont ensuite été transcrits par les organisations partenaires.
VIH et commerce du sexe en Chine
On estime que le commerce du sexe joue un rôle important dans l’épidémiologie du VIH en Chine. Une étude menée en 2014 par le Centre national chinois de contrôle et de prévention du sida et des MST a estimé que pas moins de 59,3 % des hommes séropositifs interrogés avaient contracté le VIH lors de rapports sexuels tarifés, tout en relevant que les comportements sexuels étaient difficiles à quantifier.5 Ces dernières années, la Chine a fait face à une augmentation de la prévalence du VIH parmi les personnes âgées de 60 ans et plus. Environ 15 % des nouveaux cas de 2015 ont été enregistrés dans ce groupe d’âge, un groupe qui pourrait inclure des travailleurs migrants ayant eu des rapports sexuels tarifés alors qu’ils étaient loin de chez eux et de leurs femmes (qu’ils ont retrouvées à leur retour à la maison).6
Les statistiques gouvernementales estiment que la prévalence du VIH chez les femmes professionnelles du sexe était d’environ 0,22 % en 2014 et qu’elle est restée stable et faible au cours des dernières années.7 Or, selon une méta-analyse de 2012 fondée sur divers rapports, la prévalence du VIH dans cette population est de 3,0 % , un chiffre nettement supérieur au chiffre officiel, et environ la moitié des femmes vivant avec le VIH en Chine sont des professionnelles du sexe.8 Les épidémiologistes du gouvernement ont jugé que ces chiffres étaient surestimés.9 Une étude réalisée en 2016 dans le Guangxi a montré que les femmes professionnelles du sexe dont les services étaient rémunérés à un tarif plus bas (appelées travailleuses « de niveau inférieur » par les auteurs) étaient plus exposées au risque d’infection au VIH que les autres professionnels du sexe parce que les clients étaient moins enclins à utiliser des préservatifs avec elles qu’avec les travailleurs « de niveau supérieur ».10
La Chine ne rapporte pas d’incidence ou de prévalence du VIH chez les hommes professionnels du sexe, mais elle tient de tels chiffres pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, pour lesquels la prévalence du VIH était estimée à 7,7 % en 2014.11 Parmi les nouvelles infections, la transmission d’homme à homme est celle enregistrant l’augmentation la plus rapide, passant de 2,5 % de nouveaux cas en 2006 à 25,8 % en 2014.12 Une étude menée auprès de 2 618 hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en 2009 a révélé que la prévalence du VIH parmi ceux qui étaient des professionnels du sexe (6,13 %) était légèrement inférieure à la prévalence parmi ceux qui ne l’étaient pas (7,59 %).13 Cette étude a également estimé que la prévalence de la syphilis s’élevait à 10,73 % chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes qui étaient des professionnels du sexe et à 14,72 % chez ceux qui ne l’étaient pas.14 En 2012, une méta-analyse s’appuyant sur le résultat de 32 articles publiés a estimé la prévalence du VIH à 6,0 % et celle de la syphilis à 12,4 % parmi les professionnels du sexe qui étaient des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.15 Les hommes professionnels du sexe sont donc une population exposée à un risque élevé d’infection au VIH.
Les données sur les professionnel(le)s du sexe transgenres sont limitées. Néanmoins, il existe des données probantes suggérant que les femmes transgenres professionnelles du sexe sont, de tous les professionnels du sexe, les plus vulnérables au VIH parce qu’elles font l’objet d’une stigmatisation et d’une discrimination profondes et sont souvent marginalisées au plan social, économique et légal, ce qui accroît leur vulnérabilité au risque de VIH.16 Une enquête effectuée auprès de 220 femmes transgenres professionnelles du sexe à Shenyang en 2014 a conclu que 25,9 % d’entre elles s’étaient autorapportées séropositives ou avaient été testées et confirmées séropositives. Les auteurs ont toutefois indiqué que ces résultats n’étaient pas nécessairement généralisables au reste du pays.17
Commerce du sexe, application de la loi et VIH : contexte
Le gouvernement chinois a adopté une approche punitive à l’égard du commerce du sexe et des professionnel(le)s du sexe. En vertu du droit chinois, la pratique du commerce du sexe et l’achat de services sexuels sont passibles de sanctions administratives, tandis que l’organisation ou l’arrangement de la vente de services sexuels constituent une infraction pénale. Les sanctions administratives possibles incluent des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 15 jours et des amendes atteignant 5 000 yuans (environ 743 US$).18 Les sanctions liées à l’infraction pénale sont nettement plus sévères : de cinq à dix ans d’emprisonnement, des amendes et la confiscation des biens.19 Les professionnel(le)s du sexe sont en outre soumis à des dispositions « de garde et d’éducation », qui autorisent la police à placer les femmes professionnelles du sexe et leurs clients masculins en détention de six mois à deux ans sans contrôle judiciaire.20 Enfin, transmettre sciemment le VIH est une infraction pénale dont la sanction va jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.21 Toutes les poursuites intentées en vertu de cette infraction l’ont été contre des professionnel(le)s du sexe uniquement, pas contre leurs clients.22
Depuis les années 1980, le gouvernement a mené des « campagnes coup de poing » et des « descentes anti-pornographie » de façon régulière dans le secteur du sexe. Selon des statistiques publiées par le Bureau de la sécurité publique (les forces de police chinoises), la police a enquêté et traduit en justice 620 000 personnes pour des infractions relevant du commerce du sexe entre 1984 et 1991 ; 250 000 entre 1992 et 1993 ; et plus de 2 millions entre 1993 et 2004.23 Les descentes de police à Pékin en avril 2010 et à Dongguan en février 2014 ont marqué le début de la campagne nationale de lutte contre la pornographie la plus sévère depuis plus d’une décennie. Les forces de police déployées, la zone géographique couverte, le nombre de lieux de commerce du sexe fermés et le nombre de personnes arrêtées ont été sans précédent.24 Afin de maintenir une certaine dynamique dans la lutte contre le commerce du sexe, de nombreux gouvernements locaux assignent des quotas spécifiques à la police pour les descentes dans les lieux de commerce du sexe.25 L’application de la loi est donc une composante inévitable de la vie des professionnel(le)s du sexe. La dureté de la surveillance policière et la peur qu’elle engendre font partie de l’environnement quotidien de ces personnes, ce qui a des conséquences sur leur santé et leur sécurité physique.
En 2004, la Chine a identifié les personnes qui s’injectent des drogues, les professionnel(le)s du sexe et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes comme étant des populations exposées à un risque plus élevé de transmission du VIH.26 Afin de réduire la vulnérabilité au VIH de ces populations clés, le gouvernement a adopté des mesures précises qui mettaient mettant l’accent sur sensibilisation et les interventions comportementales.27 Comme dans d’autres pays, le fait qu’une population exposée au VIH (comme les professionnel(le)s du sexe) soit également la cible de mesures policières constitue un défi potentiel en matière de santé et de droits de l’homme.
Les programmes de promotion du préservatif sont devenus un élément important d’une riposte chinoise au VIH qui cherche à contrôler la transmission des infections sexuellement transmissibles et du VIH. Le gouvernement a déployé des efforts importants pour promouvoir l’utilisation du préservatif. Dès 2004, le préservatif était identifié comme une priorité des programmes de riposte au VIH, non seulement par le ministère de la Santé, mais aussi par les autorités chargées de la supervision de secteurs tels que les médias de masse et le planning familial.28 La législation adoptée par la Chine en 2006 concernant le VIH/sida oblige certains lieux publics tels que les hôtels, les boîtes de nuit et les bains publics à fournir des préservatifs. Elle prévoit en outre que « la santé, le planning familial, la publicité, la pharmacovigilance, l’assurance qualité, les tests et la quarantaine, la télévision et le cinéma, et divers autres départements du gouvernement populaire à l’échelle des comtés et au-delà doivent organiser et promouvoir l’utilisation du préservatif et créer et optimiser les réseaux de fourniture de préservatifs. »29 Dans certaines provinces, comme le Yunnan, des établissements ont fait l’objet de sanctions administratives pour « ne pas avoir exhibé de préservatifs ou de distributeurs de préservatifs dans leurs lieux d’activités conformément à la réglementation. »30 Le gouvernement central consacre également chaque année une certaine enveloppe à l’achat de préservatifs. Ceux-ci sont ensuite distribués à grande échelle aux populations clés, dont les professionnel(le)s du sexe, par des organismes communautaires et différents services du Centre de contrôle et de prévention des maladies à travers le pays.
Certaines politiques et pratiques ne se sont toutefois pas alignées sur ces objectifs de promotion du préservatif ou encore ont compromis les progrès dans ce domaine. La police en particulier, alors qu’elle fait soi-disant partie de la riposte intersectorielle au VIH, a comme directive d’envisager le préservatif sous un tout autre jour. Selon les directives du ministère de la Sécurité publique, les préservatifs représentent des « outils de l’infraction » dans le cadre de procédures judiciaires liées au commerce du sexe et les agents de police doivent « prendre des photographies des préservatifs après la saisie, puis les détruire après la conclusion de l’affaire. »31 Cette perception que la police a du préservatif est facile à entretenir étant donné l’image du préservatif dans l’opinion publique. Bien que le gouvernement chinois ait adopté différentes politiques obligeant les médias étatiques à promouvoir l’utilisation du préservatif, ce dernier est en réalité rarement mentionné dans les médias traditionnels. Les publicités commerciales pour les préservatifs ont été interdites pour 25 ans par un document émis en 1989 par l’administration d’État pour l’industrie et le commerce, document qui a été discrètement abandonné en 2014.32 Cet obstacle juridique a empêché les fabricants de préservatifs de faire de la publicité pour leurs produits à la télévision ou dans des endroits comme le métro. Lorsque des préservatifs apparaissent dans des reportages d’actualités, ce n’est généralement qu’en relation avec la lutte contre le commerce du sexe et les descentes anti-pornographie.33 Ces reportages montrent souvent des agents de police alors qu’ils effectuent des raids anti-vice et l’arrestation de professionnel(le)s du sexe, avec des descriptions de la découverte de grandes quantités de préservatifs. Ces reportages associent les préservatifs au commerce du sexe et les présentent donc comme la preuve d’une activité illégale. Dans un environnement où le sexe est considéré comme sale et contraire à la morale, les préservatifs se voient attribuer ces mêmes caractéristiques.
En 1998, les départements de la santé se sont rendu compte que la place octroyée aux préservatifs dans les reportages médiatiques portant sur les raids anti-vice avait un effet négatif sur la prévention du VIH. Cette même année, le ministère de la Santé s’est joint à huit autres ministères et commissions afin d’émettre une décision obligeant à « diffuser de la publicité sur l’utilisation du préservatif comme moyen de prévention du VIH/sida et des MST, tout en évitant les reportages présentant les préservatifs comme une preuve du commerce du sexe. »34 Mais l’absence de pouvoir juridique de ce document en a empêché la mise en œuvre et l’opinion publique continue d’associer préservatif et activité illégale.
En outre, tandis que le gouvernement a activement mis en œuvre sa stratégie VIH à l’égard des professionnel(le)s du sexe, les descentes de police dans les lieux de commerce du sexe continuent d’avoir lieu et sont même encouragées par certains documents importants de prévention du VIH. Par exemple, les avis visant le renforcement de la riposte au VIH émis par le Conseil d’État en 2004 et 2010 ainsi que le Treizième plan d’action national contre le sida ont tous pour objectif d’éviter le VIH mais exige « des départements de sécurité publique qu’ils continuent, comme par le passé, de sévir contre le commerce du sexe, l’exercice d’activités licencieuses et autres comportements illégaux et délictueux. »35 Les descentes de police prennent la forme de raids réguliers dans les lieux où se pratique le commerce du sexe ; elles entraînent souvent l’arrestation et la détention de professionnel(le)s du sexe et parfois la cessation des activités de commerce du sexe dans ces lieux.
Résultats
L’échantillon, soit 517 personnes, était à 59 % féminin, 31 % masculin et 10 % transgenre, avec un âge moyen des répondants de 32,6 ans. L’enquête a montré qu’un pourcentage élevé de professionnel(le)s du sexe avaient été interrogé(e)s par la police, tant au cours de la période pendant laquelle ils/elles exerçaient des activités de commerce du sexe qu’au cours de l’année passée (voir la figure 1). Plus de la moitié (51,3 %) des professionnel(le)s du sexe ont déclaré avoir été interrogé(e)s par la police au moins une fois depuis qu’ils/elles ont commencé à exercer des activités de commerce du sexe, et 42,9 % ont dit l’avoir été au cours de l’année passée. Parmi les répondants interrogés au cours de l’année passée, 64,9 % l’avaient été une fois et 35,1 % deux fois ou plus. Parmi ceux interrogés deux fois ou plus, l’écrasante majorité (78,2 %) était des femmes.
Parmi les répondants qui avaient été interrogés alors qu’ils/elles étaient professionnel(le)s du sexe, la plupart avaient eu une expérience négative dans le cadre de ces interrogations : 78 % avaient fait l’objet d’humiliations verbales, 64,5 % de provocations policières et 50,9 % de violences physiques (voir la figure 2).
Parmi les répondants interrogés par la police en tant que professionnel(le)s du sexe, 70,9 % avaient été emmenés au poste de police pour l’interrogatoire. En vertu du droit chinois, les agents de police peuvent détenir les suspects pour les interroger, mais généralement pas au-delà de 24 heures. Bien que l’interrogatoire en lui-même ne soit pas une forme de sanction administrative ou pénale, il déclenche une procédure d’enquête officielle pouvant aboutir à une sanction.36 Les professionnel(le)s du sexe, quel que soit leur genre, ont souvent rapporté s’être fait conduire au poste de police, avec 72,5 % pour les femmes, 60,6 % pour les hommes et 72,1 % pour les personnes transgenres. Un peu plus de 47 % des répondants interrogés par la police avaient été placés en détention administrative et 26,8 % avaient dû acquitter des amendes. Les répondants féminins (56,1 %) avaient davantage fait l’objet de détentions administratives que les hommes (9,1 %) et les personnes transgenres (37,2 %). Les répondants masculins et transgenres (57,6 % et 39,5 % respectivement) étaient plus susceptibles d’avoir reçu des amendes.
Plus d’un tiers (35,4 %) des répondants ont déclaré que la police les avait fouillés à la recherche de préservatifs au moins une fois pendant qu’ils/elles étaient professionnel(le)s du sexe. Les principales actions des agents de police en ce qui a trait aux préservatifs incluaient la confiscation des préservatifs non usagés (36 %), la collecte des préservatifs usagés (38,2 %) et demander aux professionnel(le)s du sexe s’ils/elles avaient des préservatifs (72 %). Les entretiens qualitatifs ont indiqué que la police procédait principalement de deux façons lorsqu’elle intervenait dans le secteur du sexe : (1) elle essayait d’attraper les professionnel(le)s du sexe « en flagrant délit » et (2) elle inspectait les lieux de commerce du sexe. Dans les deux cas, les préservatifs constituaient la cible principale de l’intervention policière. Parmi les 74 personnes ayant répondu à l’entretien qualitatif, plus de la moitié (47) ont déclaré avoir vécu un ou plusieurs raids de la police pendant un rapport sexuel tarifé ou alors qu’elles sollicitaient des clients. Trente-neuf d’entre elles ont fait l’objet d’opérations « d’interpellation et de fouille » de la part de la police dans la rue, dans des parcs, dans des chambres louées ou dans des lieux de divertissement.
Les expériences rapportées par les professionnel(le)s du sexe dans cette étude ont montré que les instructions susmentionnées données à la police à l’égard des préservatifs sont efficaces : les agents de police sont convaincus que le simple fait de posséder des préservatifs est une preuve concrète de la vente de services sexuels. Selon les expériences vécues par les répondants, la police considère la découverte de préservatifs comme le facteur déterminant pour décider d’emmener un professionnel(le) du sexe au poste de police pour faire l’objet d’un interrogatoire complémentaire ou de sanctions. Parmi les 29 personnes interviewées qui se sont trouvées dans des lieux de commerce du sexe pendant que ceux-ci étaient fouillés par la police, alors que ces personnes n’étaient pas en train d’avoir des rapports tarifés mais que des préservatifs ont été trouvés, 69 % ont été emmenées au poste de police et ont fait l’objet d’une sanction administrative, 14 % ont été emmenées au poste de police pour un complément d’enquête mais n’ont fait l’objet d’aucune sanction et 17 % n’ont fait l’objet d’aucune action complémentaire.
Les actions des forces de l’ordre et l’utilisation de préservatifs comme preuve à l’encontre des professionnel(le)s du sexe ont un impact direct sur l’utilisation du préservatif par les professionnel(le)s du sexe et sa disponibilité parmi ceux-ci. Dans cet échantillon, le taux d’utilisation du préservatif (au cours du mois précédent) parmi les professionnel(le)s du sexe qui avaient été interrogé(e)s par la police au cours de l’année passée était de 47,7 %, contre 67,8 % parmi ceux qui ne l’avaient pas été. Les résultats étaient similaires en ce qui a trait à la possession de préservatifs : 47,7 % des professionnel(le)s du sexe qui avaient été interrogé(e)s par la police avaient toujours utilisé des préservatifs au cours du mois précédent, contre 75,9 % parmi ceux qui ne l’avaient pas été.
Les répondants ont déclaré que dans la mesure du possible, ils se débarrassaient rapidement des préservatifs avant que la police ne les aborde. Par exemple, les professionnel(le)s du sexe travaillant dans une chambre jetaient leurs préservatifs par la fenêtre ou dans les toilettes avant l’arrivée de la police et ceux travaillant dans la rue jetaient leurs préservatifs par terre dès qu’un agent de police approchait. La peur de l’arrestation a conduit les professionnel(le)s du sexe à réduire la durée des rapports avec les clients dans la mesure du possible, les rendant plus enclins à accepter la demande d’un client de ne pas utiliser de préservatif. Les professionnel(le)s du sexe étaient également réticents à transporter sur eux une quantité suffisante de préservatifs, préférant n’en avoir que quelques-uns afin d’éviter d’éveiller les soupçons de la police et s’efforçant d’en cacher à différents endroits. La réduction du nombre de préservatifs portés sur soi, ou carrément l’absence de préservatif, crée un risque direct pour la santé des professionnel(le)s du sexe et de leurs clients.
Lorsque vous travaillez dans la rue, vous êtes sans cesse sur le qui-vive ; dès que je vois [la police], je cours et s’il est trop tard, je jette mon argent et mes préservatifs pour éviter d’avoir des ennuis. Je ne sais pas combien de préservatifs j’ai jetés ainsi.
—Xiaoyan, travailleuse du sexe
Après ma sortie [d’un centre de détention], j’ai eu peur pendant longtemps. Lorsque j’ai recommencé à travailler, je demandais à mes clients de faire vite et ils me demandaient généralement de ne pas utiliser de préservatif. J’espérais aussi que l’on finisse rapidement de telle sorte que, en l’absence de préservatif, la police n’ait aucune preuve si elle se présentait.
—Xiaoxue, travailleuse du sexe
Les expériences relatées par les répondants ont également mis en lumière d’autres domaines dans lesquels les politiques de santé publique et les pratiques policières sont contradictoires. Certains exploitants de lieux de commerce du sexe ne voulaient pas exposer de préservatifs publiquement en raison des pratiques des forces de l’ordre ; or, ceci était contraire aux exigences des politiques de santé publique et causait par moments une réduction de la disponibilité globale de préservatifs dans ces lieux. En d’autres termes, alors que le ministère de la Santé exige que des préservatifs soient exhibés dans les lieux de divertissement, la police considère l’endroit comme un « lieu de commerce du sexe » si des préservatifs y sont exhibés. Dans de nombreux lieux, la réaction consiste à exposer des préservatifs lorsque les autorités sanitaires passent et à les cacher en cas de descente policière, d’après les répondants.
Le patron n’ose pas exposer les préservatifs aux yeux de tous et les cache. C’est un vrai problème pour nous de les trouver. Tous les trois ou cinq jours, il nous en distribue quelques-uns. —A-Hong, travailleur du sexe |
Discussion
Cette étude, conduite dans trois grandes villes chinoises, a révélé que les contacts avec la police sont un phénomène courant pour les professionnel(le)s du sexe masculins, féminins et transgenres et que cela oblige ces professionnel(le)s du sexe à lutter pour protéger leur sécurité et leur santé. Les préservatifs, un outil pouvant protéger les professionnel(le)s du sexe contre le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles, sont classés et ciblés en tant qu’« outils d’infraction » lors des actions policières à l’encontre des professionnel(le)s du sexe. La recherche et la confiscation des préservatifs par la police ainsi que la possession de préservatifs sont utilisées comme moyens de pression pour obtenir des aveux. Cette pratique a un impact important sur les professionnel(le)s du sexe. En effet, les professionnel(le)s du sexe sont plus susceptibles d’accepter de ne pas utiliser de préservatif lorsque des clients le demandent, de réduire le nombre de préservatifs qu’ils/elles transportent sur eux, voire de ne pas en avoir du tout, ou d’essayer par différents moyens de les cacher. Les exploitants de lieux de divertissement sont également dissuadés d’exposer publiquement des préservatifs, malgré les politiques du gouvernement central les incitant à le faire. Ce problème est aggravé par le manque de communication et de coordination entre les autorités sanitaires et policières. Il n’existe pas de mécanisme officiel de collaboration entre les départements de police et de santé publique en ce qui a trait aux interventions visant les professionnel(le)s du sexe. Avec le lancement par le gouvernement de descentes de grande envergure dans le secteur du commerce du sexe ces dernières années, la police a adopté une approche encore plus dure envers les professionnel(le)s du sexe, réduisant ainsi les occasions pour les forces de police de participer aux efforts de prévention du VIH à destination des professionnel(le)s du sexe.
Les descentes, entre autres pratiques documentées dans cette étude, constituent des violations des droits de l’homme et ont des impacts sanitaires négatifs directs. Le fait que les forces de l’ordre considèrent le préservatif comme une preuve de commerce du sexe a également été documenté dans d’autres pays dont le Kenya, la Namibie, la Russie, l’Afrique du Sud, les États-Unis et le Zimbabwe.37 Sur la base d’un examen minutieux des données probantes, l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que « la pratique policière consistant à utiliser la possession de préservatifs comme une preuve de commerce du sexe et comme un motif d’arrestation doit cesser. »38
Le FNUAP a mené une enquête sur le VIH et les programmes de santé sexuelle et reproductive à destination des femmes professionnelles du sexe les moins bien rémunérées. L’enquête, réalisée de 2011 à 2015 dans quatre comtés chinois, a conclu que l’implication des autres départements gouvernementaux (en dehors de ceux de la santé) dans les efforts de prévention du VIH auprès professionnel(le)s du sexe avait diminué.39 Environ 75,8 % des responsables de santé ont déclaré qu’ils « travaillaient souvent avec d’autres départements » au début de ces programmes en 2012, mais cette collaboration avait baissé à 51,4 % à la fin de ces programmes en 2015.40 C’est la collaboration avec la police qui avait chuté puisque cette dernière mettait davantage l’accent sur les descentes dans le secteur du commerce du sexe que sur le soutien aux objectifs de prévention du VIH, lesquels sont censés être une priorité pour tous les départements. Le FNUAP a conclu que ce changement était un facteur clé du déclin important du nombre de professionnel(le)s du sexe qui ont bénéficié de services de santé liés au VIH durant cette période.41
Les violations des droits de l’homme subies par les professionnel(le)s du sexe de notre étude pourraient être combattues si les professionnel(le)s du sexe étaient eux-mêmes regroupé(e)s au sein d’organisations actives. Dans de nombreuses régions du monde, les collectifs et les autres organisations de professionnel(le)s du sexe ont été d’une importance cruciale pour permettre aux professionnel(le)s du sexe de travailler ensemble pour résister à la police, être entendu(e)s au plan politique et faire en sorte que tous les clients utilisent le préservatif dans un endroit donné.42 En Chine, les organisations non gouvernementales (ONG) opèrent dans un environnement très restrictif, et ce, bien que le secteur des ONG ait connu une croissance rapide au cours de la dernière décennie. Il a longtemps été très difficile de faire immatriculer officiellement une ONG ; bon nombre d’entre elles demeuraient immatriculées en tant qu’entreprises privées, voire pas immatriculées du tout. Plus récemment, le gouvernement chinois a augmenté son soutien financier aux ONG et les exigences relatives à l’immatriculation ont été assouplies pour les organisations qui mettent l’accent sur la prestation de services.43 Pour bénéficier du soutien du gouvernement, il faut néanmoins généralement être reconnu par les autorités locales ou avoir des liens étroits avec elles.
La création d’organisations de professionnel(le)s du sexe n’a cependant pas été encouragée. Dans son travail contre la transmission sexuelle du VIH, le gouvernement a reconnu l’importance des organisations communautaires pour atteindre les professionnel(le)s du sexe et intervenir auprès d’eux. La plupart de ces interventions sont toutefois menées par des organisations liées à la santé plutôt que par des organisations de professionnel(le)s du sexe.44 Le nombre d’organisations travaillant avec les professionnel(le)s du sexe est dérisoire au regard de la population chinoise et pour la plupart, il ne s’agit pas d’organisations composées de professionnel(le)s du sexe. Parmi les 1 309 ONG listées dans le Répertoire chinois des ONG de riposte au VIH publié en 2015 par le Réseau d’information sur le VIH/ sida, seules 6,2 % travaillent avec les femmes professionnelles du sexe, alors qu’elles sont par exemple 22,6 % à travailler avec les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et 23 % avec les personnes vivant avec le VIH.45
Le fait que les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes soient davantage représentés que les professionnel(le)s du sexe est peut-être dû en partie à la prévalence relativement faible et stable du VIH parmi les femmes professionnelles du sexe. Comme évoqué plus haut, il y a eu une hausse rapide de l’incidence du VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ces dernières années. Les ressources allouées à la prévention auprès des hommes professionnels du sexe ayant des rapports sexuels avec des hommes, en plus de celles qui sont allouées à la prévention destinée aux autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, sont largement plus élevées que celles consacrées aux autres professionnel(le)s du sexe. De plus, tandis que les comportements sexuels entre personnes du même sexe consentantes sont légaux, le commerce du sexe est illégal ; il se peut qu’il soit plus risqué pour les ONG de travailler avec des groupes illégaux. L’illégalité du commerce du sexe rend également plus difficile la création d’organisations de professionnel(le)s du sexe. En revanche, les groupes d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sont relativement bien établis et des circuits ont été créés pour les consulter et les impliquer dans le travail des départements de la santé. Pour les professionnel(le)s du sexe et les personnes qui utilisent des drogues, ces opportunités de consultation et de partenariat ne se sont pas matérialisées.46
En 2009, avec le soutien d’ONUSIDA Chine, le Forum du réseau des organisations de professionnel(le)s du sexe chinois a été créé dans le but d’aider au développement de groupes membres, d’améliorer la santé au travail des professionnel(le)s du sexe et de promouvoir les droits de l’homme des professionnel(le)s du sexe. Ce réseau comprenait 17 organisations dont deux à Hong Kong et Taïwan.47 Le réseau a accompli un travail important de défense des droits des professionnel(le)s du sexe pendant qu’il était en fonction. En 2011, par exemple, il a mené une étude qualitative et quantitative visant à évaluer l’impact d’une répression massive du commerce du sexe ayant eu lieu en 2010. Les politiques restrictives chinoises ont toutefois entravé le fonctionnement du réseau. Il était censé partager les conclusions de son étude de 2011 lors d’une conférence nationale majeure sur le sida en 2012, mais sa présentation a été supprimée du programme en raison du caractère sensible de la question. Le réseau a cessé son activité en 2014 par manque de moyens financiers et humains, privant de nouveau les professionnel(le)s du sexe de plateforme organisationnelle.
Avec la rapidité de la croissance économique chinoise, de nombreux donateurs internationaux qui jusque-là finançaient la riposte chinoise au VIH ont mis fin à leur soutien. Ces bailleurs de fonds, dont le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, soutenaient par le passé les efforts de prévention destinés aux populations clés comme les professionnel(le)s du sexe, les personnes qui utilisent des drogues et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. La suppression de ce financement a conduit à la fermeture de nombreuses petites organisations communautaires. Le gouvernement chinois a promis de compenser cette pénurie de financement et, aujourd’hui, 98 % de la riposte chinoise au VIH est assurée par le gouvernement.48 Toutefois, le financement fourni par le gouvernement chinois est généralement limité à la prestation de services, comme le dépistage du VIH, le conseil et le traitement, et les moyens alloués aux programmes de lutte contre la discrimination, les violations des droits de l’homme et autres barrières juridiques et politiques rencontrées par les populations marginalisées sont faibles.49
Malgré la priorité accordée par le gouvernement à la prestation de services, les quelques organisations travaillant avec des professionnel(le)s du sexe sont de plus en plus conscientes de l’importance de permettre à ces professionnel(le)s du sexe de comprendre leurs droits en vertu de la loi. Certaines organisations ont commencé à travailler avec des avocats afin de fournir une formation juridique aux professionnel(le)s du sexe locaux. Le Programme des Nations Unies pour le développement a également initié un programme d’aide juridique en faveur des personnes vivant avec le VIH et des populations clés.50 Ce travail s’effectue cependant à très petite échelle, le nombre d’avocats offrant leur aide étant très faible et les moyens financiers de soutien aux programmes limités. Du fait de la répression gouvernementale à l’encontre des avocats et activistes spécialisés dans les droits de l’homme, il est encore plus difficile de trouver des professionnels prêts à travailler avec une population dont les activités sont interdites par la loi.51
La Chine a également renforcé son contrôle sur les activités d’ONG internationales travaillant dans le pays. En 2016, le gouvernement a adopté la Loi réglementant les activités des organisations non gouvernementales étrangères sur le continent chinois.52 Cette loi, qui a pris effet en janvier 2017, impose à toute organisation internationale souhaitant financer ou conduire des activités en Chine de commencer par s’enregistrer auprès du Bureau de sécurité publique ou d’obtenir l’autorisation de ce dernier, ainsi que de travailler sous la direction d’une agence gouvernementale agissant en tant qu’« unité professionnelle de supervision ». Cette nouvelle loi a conduit à une plus grande surveillance policière ainsi qu’à une surveillance financière plus sévère des ONG internationales.53 On pense que l’objectif ultime de la loi est de restreindre les ONG chinoises en coupant leurs liens avec les groupes et le financement étrangers.54 Cela entravera encore davantage le développement d’organisations, de réseaux et de coalitions de professionnel(le)s du sexe.
Les professionnel(le)s du sexe, avec d’autres « groupes illégaux », sont considérés comme immoraux dans la société chinoise. Leur comportement est jugé dommageable pour eux-mêmes et pour la société. La répression exercée par la police à l’égard des professionnel(le)s du sexe fait donc l’objet d’une certaine tolérance. Les actions de la police ont cependant été parfois si extrêmes qu’elles ont suscité des inquiétudes dans la société quant au bien-être des professionnel(le)s du sexe. Outre la répression massive contre les lieux de divertissement, la police a menacé et humilié les professionnel(le)s du sexe de bien d’autres manières. En 2006 par exemple, dans la ville méridionale de Shenzhen, la police a organisé une « parade de la honte » de 100 professionnel(le)s du sexe. Ces professionnel(le)s du sexe, arrêtés par la police locale, ont été menotté(e)s et forcé(e)s de défiler sur l’avenue principale de la ville.55 En 2010, la police de Hangzhou a écrit aux familles de femmes détenues pour commerce du sexe afin de les informer des infractions qu’elles avaient commises.56 Enfin, en janvier 2017, la police d’une ville de la province de Guizhou a affiché un « panneau d’exposition » dans la rue sur lequel figurent les photos et les renseignements personnels de 10 personnes détenues pour avoir vendu ou acheté des services sexuels, s’être adonnés à des jeux d’argent ou avoir utilisé des drogues.57
Certaines de ces actions ont causé un tollé parmi la population, et des personnes ont même appelé au respect de la dignité des professionnel(le)s du sexe. En 2010, le ministère de la Sécurité publique a publié une déclaration invitant la police à respecter les femmes, en soulignant que les agents de police ne devraient pas humilier ou discriminer les professionnelles du sexe lors des actions d’application de la loi. Il y est aussi suggéré que les professionnelles du sexe devraient être appelées « femmes égarées » (失足妇女) au lieu de « prostituées ».58 Aujourd’hui, le terme « prostituée » est rarement utilisé dans les médias d’État ; cependant, l’expression « femmes égarées » dépeint les professionnelles du sexe comme des personnes sans libre arbitre et incapables de prendre des décisions rationnelles. Ces appels sporadiques au respect des professionnel(le)s du sexe et cette tentative maladroite de trouver des termes plus respectueux sonnent creux lorsque les exactions policières et la marginalisation sociale perdurent.
Il a été démontré que les vagues de descentes et autres formes de répression et d’humiliation à l’encontre de groupes ayant des groupes illégaux, dont les professionnel(le)s du sexe, sont dommageables aux droits de l’homme de ces populations et sapent les efforts de prévention et de traitement du VIH en Chine. La Chine devrait arrêter d’utiliser la répression contre les professionnel(le)s du sexe comme moyen d’exprimer un jugement moral de la part de l’État. Cet abus de pouvoir a un coût élevé : les professionnel(le)s du sexe ont peur de recourir aux services de dépistage et de traitement et les actions policières empêchent l’acceptation et l’utilisation des préservatifs distribués par le gouvernement et les organisations communautaires. L’expérience de la Chine à l’égard des professionnel(le)s du sexe montre que le commerce du sexe ne peut pas être éliminé, mais que les personnes qui le pratiquent peuvent être poussées dans la clandestinité et tenues à l’écart des services de santé, ce qui accroît leur risque de contracter le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles.
Conclusion and recommandations
L’expérience des professionnel(le)s du sexe présentée dans cette étude montre qu’une politique de santé publique utile peut être sapée par les actions de la police à l’encontre d’un groupe socialement marginalisé, notamment si les autorités de santé publique ne peuvent pas ou ne veulent pas mettre un terme à ces pratiques dommageables. Un mécanisme pour tenir la police responsable de ses actions dommageables est nécessaire. Une collaboration intersectorielle pourrait être la solution, mais cela n’est pas facile.
La riposte au VIH de la Chine à l’égard des professionnel(le)s du sexe est entravée par l’absence de protection des droits de l’homme, la contradiction entre les politiques et le manque de coordination entre les différents départements gouvernementaux devant faire leur part du travail, notamment la police. La Chine devrait immédiatement cesser de considérer l’utilisation ou la possession de préservatifs comme une preuve permettant d’arrêter, d’interroger ou de détenir des personnes suspectées de commerce du sexe. Toute directive invitant la police à considérer les préservatifs de la sorte devrait être révoquée. De plus, les stratégies VIH existant à divers niveaux doivent tenir compte de l’impact que les gestes des forces de l’ordre ont sur la propagation du VIH afin que ceux-ci ne sapent pas directement les efforts déployés en parallèle par les départements de santé. Avec le lancement récent par le gouvernement de descentes de grande envergure dans le secteur du commerce du sexe, la police a adopté une approche et une attitude encore plus dures envers les professionnel(le)s du sexe, sapant ainsi la participation des autorités à la prévention du VIH à destination des professionnel(le)s du sexe et exposant les professionnel(le)s du sexe au risque de contracter le VIH et à des violations de leurs droits.
Le gouvernement chinois devrait également encourager et aider les partenariats entre les gouvernements locaux et les ONG et créer des mécanismes permettant aux ONG d’être impliquées dans les politiques et les programmes à destination des professionnel(le)s du sexe. Des ressources devraient aussi être allouées à la création et au soutien de réseaux de professionnel(le)s du sexe qui sont dirigés et gérés par des professionnels du sexe et qui leur permettraient de véritablement participer au développement et à la mise en œuvre de projets les concernant.
Rien de tout cela n’est possible sans la dépénalisation des infractions liées au commerce du sexe et la suppression de l’infraction même de commerce du sexe dans le droit administratif. Plusieurs autres pays asiatiques ont dépénalisé au moins certains aspects du commerce du sexe sans que cela ne provoque l’effritement des mœurs sociales.59 Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé a relevé que « l’absence de reconnaissance juridique du secteur du commerce du sexe entraîne des atteintes au droit à la santé, vu l’absence de conditions de travail sécuritaires, ainsi qu’une absence de recours juridique en cas de maladie professionnelle. »60 Le fait que certaines des exactions policières les plus humiliantes et haineuses envers des professionnel(le)s du sexe aient déclenché des critiques d’une partie de la société chinoise peut être un signal positif en faveur de la libéralisation des lois sur le commerce du sexe dans les années à venir. À court terme, cependant, il est essentiel d’améliorer la coordination entre les autorités de santé publique et les forces de l’ordre afin de mettre en œuvre la stratégie VIH multisectorielle du gouvernement et d’obtenir que la police soit d’une quelconque façon tenue responsable de l’impact que ses pratiques ont sur la santé. L’ONUSIDA, l’Organisation mondiale de la Santé et d’autres acteurs internationaux représentés dans le pays devraient plaider en faveur d’un changement des pratiques policières afin que la surveillance policière répressive n’entrave plus l’accès des professionnel(le)s du sexe aux services liés au VIH et l’utilisation qu’ils/elles en font.
Tingting Shen est la directrice du plaidoyer, de la recherche et des politiques chez Asia Catalyst, Pékin, Chine.
Joanne Csete est professeure auxiliaire de santé des populations et des familles à la Mailman School of Public Health, Columbia University, New York, NY, États-Unis.
Veuillez adresser vos correspondances à Tingting Shen. Courriel : tshen@asiacatalyst.org.
Conflits d’intérêts : aucun déclaré.
Copyright © 2017 Shen et Csete. Article en libre accès diffusé sous licence non commerciales Creative Commons Attribution (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/), qui permet une utilisation, une diffusion et une reproduction non commerciale illimitées sur tout support, sous réserve de citer l’auteur original et la source.
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