Un système de reporting pour protéger les droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés
R. Taylor Williamson, Vivian Fiscian, Ryan Ubuntu Olson, Fred Nana Poku et Joseph Whittal
Résumé
Les personnes vivant avec le VIH et les populations clés font l’objet de violations des droits de l’homme qui affectent leur accès aux services de santé, les relations au sein de leur communauté, leurs options de logement et leur emploi. Afin de lutter contre ces violations, le gouvernement et les organisations de la société civile du Ghana ont mis au point un système de reporting de discriminations. Le système, qui est géré par la Commission des droits de l’homme et de la justice administrative, relie les personnes vivant avec le VIH et les populations clés à des services juridiques. Cet article présente des conclusions sur la manière dont les parties prenantes ghanéennes ont construit ce système de reporting et examine des données préliminaires sur son impact. Pour organiser notre analyse, nous avons utilisé un cadre conceptuel qui relie les cadres juridiques de protection des droits de l’homme, les institutions œuvrant pour l’accès à la justice et les mécanismes permettant aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés d’avoir accès aux services juridiques. À l’aide d’entretiens approfondis, nous montrons qu’une assistance technique ciblée a permis aux parties prenantes de mieux comprendre les enjeux auxquels font face les personnes vivant avec le VIH et les populations clés ; qu’elle a renforcé l’engagement de ces parties prenantes en faveur de la lutte contre la discrimination ; qu’elle a rationalisé les systèmes de gestion de cas et qu’elle a amélioré les relations entre la société civile et le gouvernement. Grâce à l’étude de cas présentée ici, nous constatons que la plupart des discriminations ont lieu lors de l’accès aux services gouvernementaux, au sein des communautés et des familles, ou encore sur le lieu de travail. Enfin, nous décrivons les implications pour d’autres commissions des droits de l’homme qui envisagent d’utiliser d’un système de reporting, notamment d’utiliser des cadres juridiques, de mettre au point des systèmes de gestion de cas et de collaborer avec la société civile, afin de protéger les droits de l’homme
Introduction
Les personnes vivant avec le VIH et les populations clés, y compris les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les professionnel(le)s du sexe et les personnes qui s’injectent des drogues, font couramment l’objet de violations des droits de l’homme, notamment d’exclusion de la communauté ou de la famille, d’agressions par la police ou des voyous, de déni de services fondamentaux et de divulgation non consensuelle de renseignements de santé sensibles.1 En conséquence, ces personnes sont souvent dans l’incapacité d’accéder à des services cruciaux, comme la santé, l’éducation, la sécurité et l’emploi.2 Ces violations des droits de l’homme sont le résultat de la stigmatisation de comportements et d’actions discriminatoires de la part des familles, des communautés, des employeurs et des institutions gouvernementales, et elles contribuent à une faible utilisation des services de santé par les personnes vivant avec le VIH et les populations clés.3 Les protections juridiques constituent un outil important pour garantir le respect des droits de l’homme, car elles offrent un cadre de restitution et de justice lorsque cela est nécessaire.4 Les gouvernements ont adopté et ratifié à cette fin des traités internationaux qui créent des obligations juridiques contraignantes afin de protéger les droits de l’homme. Les normes et protections prévues dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que d’autres instruments de défense des droits de l’homme mondiaux ou régionaux, ont été interprétées comme s’appliquant aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés.5
Plusieurs résolutions et déclarations traitent en outre spécifiquement des violations des droits de l’homme à l’encontre des personnes vivant avec le VIH et des populations clés. Par exemple, la Déclaration politique sur le VIH adoptée en 2011 par les Nations Unies engage chaque pays « à mettre en place un cadre juridique, social et politique propre à permettre d’éliminer la stigmatisation, la discrimination et la violence liées au VIH[…] à assurer une protection juridique aux personnes touchées par le VIH[…] et à promouvoir et à protéger les droits de l’homme et libertés fondamentales. »6 Cette déclaration, ainsi que la Déclaration d’engagement sur le VIH/sida de 2001et les Déclarations politiques sur le VIH et le sida de 2006 et 2016, invitent les pays membres à protéger les droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés.7
S’appuyant sur ces engagements, le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) a défini sept programmes clés pour réduire la stigmatisation et la discrimination et accroître l’accès à la justice.8 Le renforcement des services d’assistance juridique est l’un de ces programmes clé, bien que seulement 55 % des pays aient rapporté disposer de tels services en 2013.9
En 2012, le gouvernement du Ghana et des organisations de la société civile (OSC) ont créé un système de reporting de discriminations par Internet et SMS afin de permettre aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés, ainsi qu’aux OSC qui les représentent et les aident, de signaler à la Commission des droits de l’homme et de la justice administrative (CHRAJ, ou Commission on Human Rights and Administrative Justice en anglais) les cas de discrimination en matière de logement, de services gouvernementaux, de santé, d’éducation, d’emploi et dans d’autres domaines pertinents. Lorsqu’elle est saisie, la CHRAJ peut arbitrer les cas qui lui sont soumis, enquêter sur eux ou les trancher.10 Le Projet de politique de santé, un projet d’assistance technique financé par USAID et PEPFAR, a soutenu la mise au point du système.11
Le système de reporting s’appuie sur un cadre conceptuel qui combine les composantes policières, juridiques, organisationnelles et relationnelles nécessaires. Il part de l’hypothèse que trois éléments clés, à savoir (1) les cadres juridiques et politiques, (2) les institutions œuvrant pour l’accès à la justice et (3) les mécanismes permettant aux personnes vivant avec le VIH et les populations clés d’avoir accès aux services juridiques, sont nécessaires pour qu’un système de reporting de discriminations protège les droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés.12
Le cadre conceptuel prévoit que les cadres juridiques et politiques incluent les dispositions constitutionnelles, législatives, politiques et jurisprudentielles. Ces dispositions juridiques décrivent la base théorique qui s’applique à la protection des droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, mais elles ne fixent pas de mesures concrètes pour garantir le respect de ces droits.
Des mesures concrètes sont définies par les institutions œuvrant pour l’accès à la justice. La structure choisie permet aux OSC et aux agences gouvernementales de jouer un de ces trois rôles : gérer la logistique du système de reporting de discriminations en tant que « bureau central » des cas, relier les demandeurs au système ou les aider à résoudre le problème directement.
Ces institutions doivent travailler ensemble pour garantir que des mécanismes permettant aux demandeurs d’accéder à la justice sont en place. Les mandats et responsabilités des différentes organisations déterminent les rôles assumés par celles-ci pour garantir l’accès la justice. Les connexions et compétences existantes de ces organisations doivent également être prises en compte lors de la conception des systèmes de reporting et de gestion de cas.
Les éléments du cadre conceptuel ont été décrits dans un article précédent ; l’étude actuelle présente les résultats de la mise en œuvre de cette structure. Elle montre comment les institutions interprètent leur rôle de défenseur des droits de l’homme et comment les relations entre les différents acteurs affectent les occasions d’accès à la justice.
Nous commençons par décrire l’intervention et présenter notre travail de collecte de données, qui s’est appuyé sur des entretiens approfondis et des évaluations des capacités. Nous analysons ensuite la situation de référence à l’aide des éléments du cadre conceptuel. Troisièmement, nous analysons l’intervention, y compris les éléments du système de reporting. Quatrièmement, nous utilisons le cadre conceptuel pour analyser l’efficacité du système ghanéen de reporting de discriminations, en incluant un examen des tendances et des avancées. Enfin, nous identifions les implications pour d’autres institutions, y compris les institutions nationales de défense des droits de l’homme, qui protègent les droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés.
Méthodologie d’évaluation
En avril 2012, dans le cadre du Projet de politique de santé, 18 entretiens approfondis ont été menés avec des représentants de la société civile, du gouvernement et d’organisations internationales qui défendent les droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés. Sur la base de ces entretiens, nous avons compilé des données de référence sur l’environnement politique et juridique des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, sur les institutions œuvrant pour l’accès à la justice et sur les mécanismes qui relient les personnes vivant avec le VIH et les populations clés aux services juridiques. Trois ans après le démarrage des interventions décrites ci-dessous, soit en juin 2015, nous avons mené 21 entretiens approfondis avec des informateurs clés similaires, afin de comprendre comment les interventions avaient affecté les trois domaines de la structure.
Nous avons également procédé à une évaluation des capacités de référence et une évaluation des capacités finales en nous servant de la méthodologie d’évaluation des capacités organisationnelles de USAID pour structurer notre travail.13 Nous avons modifié cet outil afin de nous concentrer sur quatre aspects techniques et relationnels clés de la capacité de la CHRAJ à travailler avec les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. Ces quatre domaines sont : (1) la connaissance des enjeux auxquels font face les personnes vivant avec le VIH et les populations clés, (2) la gestion de cas et d’informations, (3) les relations avec les organisations de défense des droits de l’homme et de riposte au VIH, et (4) l’engagement institutionnel de la CHRAJ à aider les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. Nous avons procédé à l’évaluation de référence en octobre 2012 et à l’évaluation finale en juin 2015. Les valeurs p ont été calculées selon la méthode exacte de Fisher, en raison de la petite taille des échantillons.
Nous avons codé les données des entretiens à l’aide des éléments du cadre conceptuel. En utilisant Excel, nous avons agrégé des données de notation quantitative à partir des évaluations des capacités. En 2015, nous avons obtenu des données d’analyse de cas à partir du système de reporting et les avons anonymisées en supprimant les noms et en leur affectant des identifiants uniques. Nous rapportons ces données en utilisant les catégories identifiées dans le système de reporting.
Il existe quelques réserves à notre méthode d’évaluation. Premièrement, les entretiens et les évaluations des capacités organisationnelles ont été réalisés à deux dates distinctes. Les personnes que nous avons interrogées dans ces organisations n’étaient donc pas les mêmes en 2012 et 2015, et les personnes interrogées en 2015 n’avaient pas nécessairement les mêmes avis que leurs prédécesseurs. Afin d’atténuer cette réserve, nous avons tenu une liste des personnes interrogées en 2012 et nous avons essayé de les retrouver à leurs nouveaux postes en 2015 si leur nouvelle organisation œuvrait également dans la défense des droits de l’homme ou la riposte au VIH. Deuxièmement, les cas rapportés à la CHRAJ sont autodéclarés, ce qui implique un certain niveau de biais de sélection et de mémorisation. Ces biais sont inhérents à toute évaluation s’appuyant sur des données autodéclarées.
Résultats de référence
Le Ghana a ratifié plusieurs grands traités sur les droits de l’homme qui défendent les droits relatifs au VIH, y compris les droits à la vie privée, à l’éducation, au travail, à la sécurité, au meilleur état de santé susceptible d’être atteint et à la participation à la vie publique.14 Ces traités n’ayant pas force de loi au Ghana, la protection des droits de l’homme pour les personnes vivant avec le VIH et les populations clés est essentiellement prévue dans les dispositions, la législation et les politiques constitutionnelles.15 Il y a peu de jurisprudence sur la manière dont les dispositions constitutionnelles s’appliquent aux personnes vivant avec le VIH ou aux populations clés.16 Seul le droit à des services VIH confidentiels a été affirmé par la jurisprudence.17 La loi sur les infractions pénales interdit les « relations charnelles non naturelles » et de vivre « en totalité ou en partie de revenus de la prostitution. »18 Ces interdictions ont de nombreuses conséquences juridiques et concrètes pour les populations clés.19
Au Ghana, les institutions œuvrant pour l’accès à la justice se divisent en deux grandes catégories : les OSC et les agences gouvernementales (y compris les services de sécurité).20 Avant l’intervention, certaines OSC de défense des droits de l’homme fournissaient une aide juridique ou communautaire aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés qui faisaient l’objet de discrimination.21 D’après les personnes interrogées, cette aide se concentrait sur l’éducation par les pairs et sur le renforcement des réseaux communautaires. Rares étaient les OSC à pouvoir fournir aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés des services juridiques, mais le Centre de défense des droits de l’homme disposait d’un réseau d’avocats pro bono et d’un bureau d’aide juridique proposant des services juridiques limités, soumis à la disponibilité d’avocats volontaires. La CHRAJ a pour mandat de protéger les droits de l’homme des citoyens ghanéens mais elle n’avait pas ciblé les enjeux auxquels font face les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. La Commission ghanéenne de lutte contre le sida a reconnu que le gouvernement devait traiter de manière systématique les violations des droits de l’homme à l’encontre des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, mais qu’elle n’avait pas le mandat ou la capacité de le faire. La Commission ghanéenne de lutte contre le sida a signé un protocole d’accord avec la CHRAJ en 2012 afin de rapporter et de traiter les cas de discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH et des populations clés. Les services de sécurité, comme la police et l’armée, sont essentiels au respect des droits de l’homme puisqu’il leur revient d’arrêter les auteurs des violations et d’aider les personnes vivant avec le VIH et les populations clés lorsqu’elles sont agressées ou font l’objet de chantage.
D’après les personnes interrogées, les OSC n’avaient pas conscience que le mandat de la CHRAJ incluait la protection des droits de l’homme. La plupart des OSC pensaient que la CHRAJ était seulement une agence anticorruption ou qu’elle travaillait sur des questions politiques majeures. Les OSC centrées sur le VIH et les populations clés avaient cette impression qu’elles n’avaient jamais travaillé avec la CHRAJ. Elles souhaitaient collaborer avec la CHRAJ mais n’étaient pas sûres de la manière d’amorcer cette collaboration. La CHRAJ, cependant, entretenait des relations étroites avec des écoles, des églises et d’autres institutions civiques et avait déjà organisé des activités de formation et de sensibilisation à destination de ces entités. La CHRAJ n’avait pas utilisé ces outils pour atteindre les personnes vivant avec le VIH ou les groupes de populations clés.
Sur la base de cette analyse, un consensus a émergé entre les parties prenantes : la CHRAJ serait le foyer institutionnel d’un système de reporting de discriminations qui aiderait les demandeurs à résoudre leurs problèmes par le biais du processus de gestion de cas de la CHRAJ et qui dirigerait ces personnes vers la police ou les organisations de défense de droits de l’homme, selon le cas. La société civile aiderait quant à elle les demandeurs à accéder au système.
Description de l’intervention
À l’aide des résultats des entretiens approfondis effectués pour servir de référence, et en collaboration avec les parties prenantes de la société civile et les agences gouvernementales, nous avons travaillé à la mise au point du système de reporting de discriminations d’avril 2012 à décembre 2013. Pendant ce temps, nous avons doté le système d’un site Web et d’un module SMS, déterminé comment le système s’intégrerait aux processus de gestion de cas de la CHRAJ, identifié comment traiter le feedback des utilisateurs et formé le personnel de la CHRAJ et des OSC à l’utilisation du système.
Le système permet aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés de signaler les discriminations directement à la CHRAJ ou à une OSC. Si un demandeur signale un cas à une OSC, l’organisation le fait suivre à la CHRAJ et sert d’intermédiaire entre le demandeur et la CHRAJ. Ce processus permet au demandeur de conserver l’anonymat s’il le désire. Si un demandeur signale un cas directement à la CHRAJ, celle-ci se charge de toutes les communications et le demandeur ne peut pas rester anonyme. Les demandeurs peuvent également signaler un cas à la CHRAJ par le biais du module SMS du système de reporting.
Lorsqu’un cas lui est soumis, la CHRAJ procède en trois étapes pour demander réparation : médiation, enquête et décision judiciaire.22 Lors de la médiation, la CHRAJ facilite la négociation entre les différentes parties.23 D’après le personnel de la CHRAJ interrogé, la médiation aboutit dans la plupart des cas. En cas d’échec de la médiation, la CHRAJ enquête et émet une recommandation conforme au droit ghanéen.24 Si les parties choisissent de ne pas suivre la recommandation, la CHRAJ peut saisir les tribunaux pour la faire appliquer.25 Les recours possibles incluent alors les amendes, la réintégration, les sanctions et la formation.26
Le système permet également à la CHRAJ de rapporter certains cas à d’autres organisations ou institutions mieux équipées qu’elle pour les traiter. Par exemple, la CHRAJ signale les cas d’agression à la police et collabore avec des organisations de services juridiques, comme le Centre de défense des droits de l’homme, pour garantir le signalement des cas juridiques à la CHRAJ.27
Le système a été lancé en décembre 2013. Entre son lancement, en décembre 2013, et juillet 2015, le Projet de politique de santé et la CHRAJ ont mené quatre grandes actions. Premièrement, ils ont formé le personnel régional et de district de la CHRAJ et les OSC à la gestion avec sensibilité des cas de discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, à l’utilisation du système de reporting et au renforcement des relations entre la CHRAJ, les OSC et les demandeurs potentiels. Deuxièmement, ils ont mis au point une politique de confidentialité et de respect de la vie privée détaillant comment les informations à caractère personnel devaient être traitées au sein de la CHRAJ. La politique couvrait notamment les procédures de traitement des dossiers, l’utilisation des données, le consentement, la prévention des violations de confidentialité et les sanctions en cas de non-respect. Troisièmement, la CHRAJ a restructuré ses procédures de gestion de cas afin d’améliorer le respect de la vie privée des demandeurs et de réduire le délai de réponse. Pour ce faire, elle a désigné une équipe qui allait être chargée de la gestion des cas signalés par l’entremise du système de reporting. L’équipe faisait office de point de contact pour les OSC et permettait de réduire le nombre de personnes ayant accès aux plaintes. Les plaintes ont en outre commencé à suivre un parcours confidentiel qui avait jusque-là été réservé aux cas de corruption. Enfin, en mai 2015, le Projet de politique de santé, la Fondation de lutte contre le sida en Afrique de l’Ouest et la CHRAJ ont organisé des ateliers destinés aux pairs éducateurs formés par les OSC et visant à mettre en lumière les droits de l’homme fondamentaux, les différents services juridiques offerts et les types de discrimination à signaler à la CHRAJ. Ces pairs éducateurs ont reçu des documents sur la CHRAJ et le système de reporting à partager avec leurs réseaux.
Résultats finaux
L’environnement juridique pour les personnes vivant avec le VIH et les populations clés au Ghana a subi des changements mineurs entre l’évaluation de référence en 2012 et l’évaluation finale en 2015. En 2013, le pays a notamment adopté sa Politique sur le VIH, le sida et les IST, qui interdit la discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH mais qui ne spécifie pas de pénalité.28 Cette politique souligne également le rôle de la CHRAJ pour intenter des procédures juridiques et « établir des systèmes pour fournir un reporting régulier des cas de discrimination. »29 Enfin, elle en appelle au gouvernement pour garantir le respect des principes de non-discrimination.30
En 2016 cependant, après la conduite de notre évaluation, deux changements majeurs sont intervenus dans l’environnement juridique et politique ghanéen. Premièrement, le Plan stratégique national 2016–2020 de lutte contre le VIH et le sida a été promulgué. Ce plan décrit les barrières rencontrées par les personnes vivant avec le VIH et les populations clés, notamment le statut juridique incertain de l’homosexualité et du commerce du sexe, les valeurs culturelles et religieuses, et la faiblesse des efforts de prévention du VIH dans les prisons.31 Il présente également plusieurs actions pour atténuer la discrimination et faire appliquer la protection des droits de l’homme, dont la plupart sont axées sur le partage d’information, le plaidoyer appuyant les cadres fondés sur les droits et l’aide institutionnelle aux agences gouvernementales qui interagissent avec les personnes vivant avec le VIH et les populations clés.32 Le plan stratégique codifie également le rôle de la CHRAJ dans la protection des droits des personnes vivant avec le VIH et des populations clés. Deuxièmement, cette même année, le Ghana a adopté la Ghana AIDs Commision Act. qui énumère les droits spécifiques des personnes vivant avec le VIH, y compris les droits à la non-discrimination, à la santé, au respect de la vie privée, à l’assurance, à l’emploi, à l’éducation, à l’engagement politique, à la libre circulation et à la reproduction.33 Cette loi prévoit aussi des sanctions spécifiques en cas de violation de ces droits.34 Cette loi étant récente, il est trop tôt pour en mesurer les effets concrets.
Les institutions œuvrant pour l’accès à la justice au Ghana étaient bien plus fortes en 2015 qu’en 2012. Étant donné que la CHRAJ est le foyer institutionnel du système de reporting, nous avons concentré nos efforts sur la mesure de la capacité institutionnelle au sein de la CHRAJ (tableau 1). La CHRAJ a fait preuve d’un engagement fort en faveur de la promotion de l’accès à la justice pour les personnes vivant avec le VIH et les populations clés entre 2012 et 2015. Durant cette période, l’encadrement supérieur de la CHRAJ a fourni (1) les ressources nécessaires à la conception et l’application d’une politique de confidentialité et de respect de la vie privée, (2) des agents de liaison pour travailler sur le système de reporting de discriminations et (3) des actions de sensibilisation par les OSC et les pairs éducateurs. Le personnel des OSC interrogé a déclaré que le personnel de la CHRAJ offrait un bon soutien qui encourageait la population à signaler des cas, mais également que le personnel de la CHRAJ devait mener davantage d’activités de sensibilisation auprès des personnes vivant avec le VIH et les populations clés afin de maximiser l’éventail d’avantages du système. Les OSC ont également fait preuve d’un engagement fort, puisqu’au moins six d’entre elles ont désigné un agent de liaison pour soutenir le système de reporting et onze ont rapporté un cas à la CHRAJ.
Les personnes interrogées et l’évaluation des capacités (tableau 1) ont montré qu’en 2015, la CHRAJ connaissait mieux les enjeux liés aux droits de l’homme auxquels font face les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. Le personnel de la CHRAJ interrogé a déclaré que ses compétences en utilisation du droit international et du droit ghanéen pour protéger les personnes vivant avec le VIH et les populations clés s’étaient améliorées, mais qu’il n’avait pas encore eu l’opportunité de porter un cas devant les tribunaux. Les OSC ont en outre rapporté que les connaissances de la CHRAJ concernant les types de discrimination rencontrés par les personnes vivant avec le VIH et les populations clés s’étaient améliorées. Cependant, les personnes interrogées avaient peu d’expérience avec le personnel de la CHRAJ aux niveaux régionaux ou de district et étaient donc incapables d’évaluer leurs connaissances des enjeux auxquels font face les personnes vivant avec le VIH et les populations clés en dehors d’Accra.
Dès 2015, la CHRAJ a pu utiliser le système de reporting de discriminations et les OSC ont eu le sentiment que la CHRAJ offrait aux personnes vivant avec le VIH et aux populations clés un environnement propice au dépôt de leurs plaintes. Selon le personnel des OSC et de la CHRAJ interrogé, la CHRAJ contactait généralement les demandeurs dans les 48 heures, alors que le délai moyen de réponse en cas de plainte, tous types confondus, est de 10 jours. La CHRAJ est parvenue à une telle réduction du délai de réponse en adressant directement les cas au directeur concerné, pour approbation, au lieu d’attendre une réunion d’examen des dossiers. De ce fait, les médiations et les enquêtes interviennent plus rapidement. Certains inconvénients, cependant, sont communs à tous les cas soumis à la CHRAJ : par exemple, la CHRAJ a besoin que les demandeurs identifient les auteurs de violations et elle ne dispose que d’un petit nombre d’enquêteurs.
Entre 2012 et 2015, la CHRAJ a également rencontré des difficultés pour répondre à ses besoins en infrastructures. En 2015 par exemple, ses lignes téléphoniques ne fonctionnaient plus depuis plus d’un an et sa connexion Internet n’était disponible que par intermittence. Les membres du personnel de la CHRAJ utilisaient leurs téléphones portables et tablettes personnels pour accéder au système de reporting de discriminations et pour contacter les demandeurs. Les personnes interrogées ont relevé que le respect de la vie privée et de la confidentialité s’étaient améliorés au sein de la CHRAJ : elles disposaient à présent d’un bureau dédié pour les entretiens, les données personnelles étaient mieux protégées et le personnel était sensibilisé aux procédures de confidentialité. De nombreuses personnes interrogées, dans la CHRAJ et les OSC, ont déclaré qu’il s’agissait d’un changement majeur, qui favorise les relations de confiance.
Enfin, les mécanismes qui relient les personnes vivant avec le VIH et les populations clés aux services juridiques ont connu une amélioration significative entre 2012 et 2015. La plupart des demandeurs signalaient les cas à des OSC, qui les renvoyaient ensuite à la CHRAJ via le système de reporting de discriminations (tableau 2). Les OSC travaillaient souvent avec les demandeurs afin de s’assurer qu’ils se sentiraient à l’aise au moment de signaler leur cas à la CHRAJ, par exemple en les accompagnant à la CHRAJ lorsqu’ils étaient conviés à des entretiens en personne. Les OSC ont noté que bon nombre des cas qu’elles renvoyaient à la CHRAJ leur arrivaient par le biais de leurs réseaux de pairs éducateurs. L’une des personnes interrogées a estimé que cette approche ciblée fonctionnait bien, déclarant que « la sensibilisation et le partage d’information avec les pairs éducateurs sont la clé de la chaîne de renvoi. » Une autre personne a déclaré que « l’utilisation augmentera au fur et à mesure que les gens obtiendront réparation et partageront leurs expériences. »
Cette structure de renvoi a contribué à maintenir des interactions face à face tout en donnant accès aux services juridiques de la CHRAJ. Pour de nombreuses OSC qui travaillaient avec des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, leur relation avec la CHRAJ a été profitable car la commission leur a fourni des options de réparation. La Commission ghanéenne de lutte contre le sida (ou Ghana AIDS Commission en anglais) a en outre été décisive pour relier les personnes vivant avec le VIH et les populations clés aux services de la CHRAJ, étant donné qu’elle coordonnait l’engagement et assurait le suivi des cas.
Bien que toutes les personnes interrogées (à l’exception d’une) dans des OSC avaient déjà saisi des cas dans le système, certaines d’entre elles avaient encore des difficultés à comprendre les types de données à saisir et la façon d’assurer le suivi des cas. Le module SMS représentait un défi encore plus grand. Les personnes interrogées ne savaient pas si les demandeurs utilisaient des SMS pour contacter la CHRAJ et ne pensaient pas que les personnes vivant avec le VIH et les populations clés connaissaient la fonctionnalité SMS. La plupart des personnes interrogées pensaient que le module SMS nécessitait davantage de marketing et peu d’OSC parlaient aux demandeurs de l’option SMS.
Analyse de cas et évolution
Entre le 1er décembre 2013 et le 30 septembre 2015, des personnes vivant avec le VIH, des membres des populations clés et des OSC ont rapporté 50 cas de discrimination à la CHRAJ (tableau 3). Les signalements ont été rares en 2014, la CHRAJ ayant mené peu d’actions de sensibilisation, se concentrant à la place sur la gestion rapide et appropriée des quelques cas qui lui avaient été rapportés. Suite aux ateliers organisés en mai 2015, les signalements sont passés d’un à deux cas par mois à quatre ou cinq cas en mai, en juin et en juillet. La CHRAJ a été informée de sept cas directement par des participants aux ateliers.
Le tableau 3 montre que les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les personnes vivant avec le VIH ont utilisé le système plus fréquemment que les professionnel(le)s du sexe. Les principaux types de violations rapportées étaient des agressions et la divulgation d’informations de santé confidentielles, suivies par le chantage et le refus de soins médicaux ou d’emploi (tableau 4).
L’examen de ces cas a révélé que les discriminations avaient eu lieu dans différents environnements. Le premier environnement était la famille, en particulier durant les divorces, lorsqu’un proche menace de divulguer le statut VIH de quelqu’un afin d’obtenir des terres ou de l’argent. Les violences familiales et la maltraitance, en particulier suite à la divulgation au conjoint, étaient également courantes.
Pendant la période de reporting, la CHRAJ est intervenue en tant que médiateur dans des cas de divulgation non consensuelle. Étant donné qu’à cette époque, la divulgation n’était pas explicitement illégale, une action en justice était rarement possible. La résolution typique des cas incluait un accord écrit entre les deux parties ou des excuses. La CHRAJ renvoyait les cas d’agression à la police, pour enquête judiciaire, tout en apportant un soutien psychologique et des conseils aux demandeurs.
La communauté était l’autre environnement sensible en termes de discrimination. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes rapportaient souvent que leurs voisins ou leurs propriétaires avaient découvert qu’ils avaient des rapports sexuels avec des hommes ou qu’ils s’identifiaient en tant que gays. Souvent, ces hommes étaient menacés d’expulsion ou faisaient l’objet de chantage en vue de l’obtention de biens de consommation tels que des téléphones, des ordinateurs et des vélos. De plus, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes étaient la cible fréquente d’agressions par de jeunes hommes. Les cas d’agression étant hors du mandat de la CHRAJ, celle-ci les renvoyait au Groupe sur la violence familiale et l’aide aux victimes du Service de police du Ghana, qui est formé à leur gestion. En ce qui concerne les cas de discrimination en matière de logement, la CHRAJ intervenait en agissant comme médiateur entre propriétaires et demandeurs. Ces séances de médiation servaient à rappeler aux propriétaires leurs obligations en vertu de la loi. Mais la discrimination communautaire comportait également des allégations de sorcellerie et la divulgation non consensuelle du statut VIH. Ces cas faisaient l’objet d’une médiation prenant notamment la forme de discussions dans la communauté. Dans le cas des allégations de sorcellerie, de multiples séances de médiation avaient lieu et conduisaient à un accord écrit dans lequel l’auteur s’engageait à cesser ses accusations.
Des atteintes aux droits de l’homme avaient également lieu au travail. La plupart des cas impliquaient des agressions de professionnel(le)s du sexe par des clients. Toutefois, ces cas étaient rarement déclarés à la police étant donné que les agents de police sont connus pour abuser des professionnel(le)s du sexe.35 La discrimination à l’embauche était moins courante que d’autres types de discrimination. Ces cas mettaient en cause à la fois d’importants employeurs privés et de petits étals de marché. La CHRAJ traitait ces cas soit en les renvoyant à la police, soit en agissant en tant que médiateur, soit en intentant des poursuites judiciaires à l’encontre des employeurs.
Un autre type de violation des droits de l’homme a également été largement rapporté, celui des discriminations émanant d’institutions gouvernementales. Cinq des cas de discrimination impliquaient des situations où des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes avaient rapporté à la police avoir été agressés ou avoir fait l’objet de chantage ; les commissariats de police les avaient emprisonnés ou avaient classé les dossiers sans avoir enquêté. Il y eut aussi quelques cas de divulgation, par du personnel de centres de santé, du statut VIH de patients à leur famille. La CHRAJ a traité ces cas rapidement, par médiation, avec pour résultat la restitution de biens privés à des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes qui avaient été victimes de chantage, la renonciation de centres de santé à appliquer des frais inappropriés pour des médicaments, la sensibilisation de responsables d’établissements de santé aux problèmes posés par la divulgation non consensuelle et la réintégration d’un étudiant qui avait été exclu de l’école.
Au 30 septembre 2015, 21 cas avaient été résolus ou renvoyés à une autre entité. Sur les dix cas résolus, six l’avaient été grâce à la médiation. Dans les trois cas qui ont été clôturés par la CHRAJ après enquête, celle-ci avait à chaque fois envoyé des conclusions écrites au demandeur et au défendeur. Onze cas avaient été renvoyés à d’autres entités (police et organisations de défense des droits de l’homme).
Trente-neuf cas étaient en cours en septembre 2015. Ils avaient tous, à l’exception de trois, été soumis au cours des six mois précédents. La plupart des cas en étaient à la phase d’enquête (tableau 5). Les enquêtes exigent d’interroger des témoins, de recueillir des déclarations, d’obtenir de la documentation et de rédiger des recommandations, ce qui peut prendre plusieurs mois. La rapidité de résolution de chaque cas dépend de sa complexité. Dans certains cas, la médiation a permis de clarifier des malentendus et a résolu le problème rapidement, tandis que dans d’autres, il a fallu l’intervention des tribunaux pour dire le droit.
Puisque le système conçu par les parties prenantes prévoyait le renvoi de cas par les OSC, nous avons également analysé la manière dont les cas étaient rapportés à la CHRAJ. Comme le montre le tableau 2, les OSC ont rapporté 56 % des cas par l’intermédiaire du système de reporting, tandis que 22 % des demandeurs déposaient leur demande en personne dans les bureaux de la CHRAJ. Les plaintes déposées en personne incluent celles lors desquelles les demandeurs étaient accompagnés par des OSC. Le plus surprenant, toutefois, était que 20 % des demandeurs aient déposé leur plainte directement à la CHRAJ par l’intermédiaire du système de reporting en ligne, sans qu’une OSC serve d’intermédiaire ; ce chiffre est d’autant plus inattendu que la pénétration d’Internet au Ghana n’était que de 17,1 % en 2012.36 Le module SMS n’a été utilisé que pour un cas.
Implications pour d’autres pays
Notre analyse des données provenant des entretiens et des cas révèle certaines leçons clés pour les institutions de défense des droits de l’homme, les commissions sur le sida, les fournisseurs d’assistance technique et les OSC d’autres pays, qui travaillent pour améliorer l’accès à la justice des personnes vivant avec le VIH et des populations clés.
Premièrement, si la base juridique pour obtenir réparation est importante, elle n’est pas impérative. Le cadre juridique du Ghana comporte de nombreuses dispositions dont l’application est floue pour les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. Avec les bons outils, cependant, une institution gouvernementale qui dispose de partenaires communautaires puissants et qui est mandatée pour protéger les droits de l’homme peut surmonter ces difficultés. C’est ce que la CHRAJ a fait en sensibilisant les OSC, en proposant des options de médiation et en remettant directement en cause les actions des institutions gouvernementales. La médiation est particulièrement essentielle lorsqu’il n’y a pas de base juridique explicite de réparation, étant donné que l’introduction de poursuites et l’obtention d’une réparation juridique peuvent prendre des années dans les pays où le système judiciaire est faible. Néanmoins, l’action judiciaire est nécessaire dans certains cas pour clarifier les cadres, empêcher de futures violations et obtenir réparation lorsque la médiation a échoué.
Deuxièmement, le développement de la capacité des systèmes et des structures est essentiel. Étant donné que la CHRAJ disposait déjà de systèmes de gestion de cas développés, nous avons cherché à adapter ces systèmes aux besoins spécifiques des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, par exemple en améliorant le respect de la vie privée et en réduisant le délai de réponse. Ce sont à la fois la politique de confidentialité et de respect de la vie privée de la CHRAJ, ainsi que sa méthode d’acheminement des cas confidentiels, qui ont permis ces progrès. Les personnes vivant avec le VIH et les populations clés disposant de réseaux sociaux développés au Ghana, un bouche-à-oreille défavorable pourrait avoir un effet négatif sur le recours à ces services.
La qualité des systèmes de gestion de cas, cependant, dépend de celle des personnes qui traitent les cas. Le personnel de la CHRAJ a été formé, encadré et coaché sur la manière de servir avec sensibilité les personnes vivant avec le VIH et les populations clés. Comme noté précédemment, le personnel des OSC interrogé a déclaré que les services de la CHRAJ étaient accueillants et qu’il continuerait de renvoyer des cas à la CHRAJ. Le personnel de la CHRAJ menait en outre des actions de sensibilisation auprès des personnes vivant avec le VIH et des populations clés afin de créer des liens et de comprendre comment se comporter face à des clients différents.
Des difficultés en termes de capacité et d’infrastructures au sein de la CHRAJ et des OSC, cependant, ont empêché l’adoption intégrale du système de reporting. Des obstacles liés aux infrastructures, tels que le mauvais état des lignes téléphoniques et de l’accès Internet, ont conduit à des difficultés pour accéder au système de reporting et pour répondre aux demandeurs. De plus, les carences en ressources humaines, comme le manque de personnel régional et de district formé et d’enquêteurs, ont eu un impact négatif sur le système. Bon nombre d’employés des OSC ne maîtrisaient pas les systèmes en ligne et avaient besoin de formations approfondies pour rapporter et gérer les cas. Les institutions nationales de défense des droits de l’homme doivent prendre en compte ces besoins accrus en infrastructures et en formation afin de gérer efficacement un système de reporting en ligne, peut-être en budgétant une modernisation des infrastructures, en embauchant de nouveaux employés et formateurs, et en planifiant un plus grand engagement auprès de la société civile.
Troisièmement, les personnes vivant avec le VIH et les populations clés doivent être mises en relation avec les services juridiques par un médiateur de confiance. L’activation de réseaux sociaux par les OSC a été décisive pour relier les populations clés aux services de la CHRAJ. Étant donné que bon nombre de ces réseaux sont clandestins, la CHRAJ seule ne pouvait pas les atteindre. Ces stratégies ont été rendues possibles par une procédure de planification et de feedback qui a laissé le temps aux OSC et à la CHRAJ de comprendre comment chacune d’elles fonctionnait. Des actions supplémentaires de sensibilisation à destination de ces réseaux par le biais de pairs éducateurs et de groupes animés par des pairs amélioreraient le lien des personnes vivant avec le VIH et des populations clés avec les services de la CHRAJ. Les institutions nationales de défense des droits de l’homme et les OSC d’autres pays doivent envisager d’autres moyens originaux, spécifiques à chaque contexte, pour améliorer les relations de confiance entre les personnes vivant avec le VIH et les populations clés d’une part, et les fournisseurs de services juridiques d’autre part.
L’une des innovations clés de cette étude réside dans l’accent mis sur la construction de relations par le biais de solutions techniques. Le système de reporting est bel et bien un produit de la technologie puisqu’il s’agit d’un site Internet comportant des fonctions de reporting et de feedback. Le système, cependant, ne fonctionne que si les parties prenantes partagent le même objectif de protection des droits de l’homme des personnes vivant avec le VIH et des populations clés, mettent leurs diverses compétences sur la table pour atteindre cet objectif et s’engagent à construire des relations pour renforcer le système. Au Ghana, les parties prenantes issues de la société civile et le gouvernement ont été impliqués dans tout le processus pour planifier, concevoir, mettre en œuvre et surveiller le système. Leur contribution et leur engagement ont permis à la CHRAJ d’atteindre les personnes vivant avec le VIH et les populations clés par le biais de réseaux d’éducation par les pairs, d’améliorer l’expérience des demandeurs utilisant le système de reporting et de garantir le signalement et le suivi des cas.
Les institutions nationales de défense des droits de l’homme doivent prendre une décision concernant les modules SMS. Bien que la plupart des Ghanéens possèdent un téléphone doté d’une fonction SMS, nous avons constaté que la plupart des plaintes parvenaient à la CHRAJ par renvoi depuis une OSC. Les OSC se sont montrées peu intéressées par le module SMS, elles en parlaient rarement aux demandeurs potentiels. Un meilleur marketing de la part de la CHRAJ et des OSC aurait pu stimuler l’utilisation du module SMS, bien que les parties prenantes, compte tenu de ressources limitées, choisissent de se concentrer sur l’activation des réseaux sociaux. Le module SMS aurait pu accroître la portée au-delà de ces réseaux de pairs. Dans ce contexte particulier, cependant, un meilleur marketing du module SMS aurait eu lieu au détriment de la construction de relations avec les réseaux de pairs.
Conclusion
Nous avons montré qu’un système de reporting peut constituer un lien crucial entre les personnes vivant avec le VIH, les populations clés, la société civile et les institutions nationales de défense des droits de l’homme. Au Ghana, nous avons eu recours à des cadres juridiques et politiques, des institutions d’appui et des mécanismes reliant les personnes vivant avec le VIH et les populations clés aux services juridiques, le tout afin de créer un système assurant une réparation réelle en cas de violation des droits de l’homme. D’autres institutions nationales de défense des droits de l’homme peuvent se servir de notre structure et de notre expérience pour évaluer si un système de reporting de discriminations est la bonne solution aux défis liés aux droits de l’homme qui se posent dans leurs pays.
Déclaration éthique
Une proposition de recherche a été soumise au Comité d’évaluation institutionnelle de RTI International. Le comité a estimé que nos travaux n’impliquaient pas de « recherches avec des sujets humains » selon 45 CFR 46.102 et que son approbation n’était pas nécessaire.
R. Taylor Williamson, MPH, est responsable des systèmes de santé au sein du groupe de développement international de RTI International, Washington, DC, USA.
Vivian Fiscian, MPhil, est consultante indépendante à Accra, Ghana.
Ryan Ubuntu Olson, MPS, est associé principal pour la santé, le VIH et la diversité de genre et sexuelle au sein du Palladium Group, Washington, DC, USA.
Fred Nana Poku, MB ChB, MPA, est directeur temporaire de la Commission ghanéenne de lutte contre le sida, Accra, Ghana.
Joseph Whittal, LLB, MA, est commissaire à la CHRAJ, Accra, Ghana.
Veuillez adresser vos correspondances à R. Taylor Williamson. E-mail : rtwilliamson@rti.org.
Conflits d’intérêts : aucun déclaré.
Copyright © 2017 Williamson, Fiscian, Olson, Poku et Whittal. Article en libre accès diffusé sous licence non commerciale Creative Commons Attribution (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/), qui permet une utilisation, une diffusion et une reproduction non commerciales illimitées sur tout support, sous réserve de citer l’auteur original et la source.
Références
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