Avant-Propos — Mobiliser la force et le potentiel des droits de l’homme pour enrayer l’épidémie de sida d’ici à 2030
Michel Sidibé
Nous avons atteint un moment charnière dans l’épidémie et la riposte au VIH. Les progrès accomplis dans la riposte à l’épidémie sont impressionnants : un nombre sans précédent de personnes a maintenant accès au traitement antirétroviral, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire, et on constate une diminution globale des nouvelles infections à VIH.
Pourtant, l’épidémie n’est pas enrayée et nous avons encore des défis de taille à relever. Plus de 15,8 millions de personnes attendent encore un traitement et on estime à 11 millions le nombre de personnes qui ignorent leur séropositivité au VIH. Chaque semaine dans le monde, près de 7000 nouvelles infections à VIH sont comptabilisées chez les adolescentes et les jeunes femmes. Ces chiffres révèlent une injustice indéfendable : des millions de personnes à travers le monde sont privées de leur droit à la santé.
Ces défis ont en commun la stigmatisation, la discrimination, l’inégalité entre les sexes, le déni de services, la violence et les violations des droits de l’homme à l’encontre des personnes vivant avec le VIH et des personnes les plus vulnérables à l’épidémie, parmi lesquelles les femmes, les jeunes, les professionnel(le)s du sexe, les prisonniers, les utilisateurs de drogues, les personnes transgenres ainsi que les hommes gays et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes.
Partout dans le monde, et indépendamment de la nature et de la virulence de l’épidémie, la vulnérabilité au VIH est liée à l’inégalité et à la privation des droits. Ainsi, les femmes et les personnes en marge de la société restent mal desservies par les services de santé, y compris les services de prévention, de traitement, de soins et de soutien liés au VIH. Cette section spéciale de Health and Human Rights arrive à point nommé pour présenter et analyser les progrès accomplis dans la réalisation des droits de l’homme en tant qu’impératif pour la santé. C’est l’occasion pour nous de réfléchir à la façon dont, au cours des décennies passées, l’épidémie de sida a transformé notre vision des déterminants structurels, juridiques et sociaux de la santé ainsi que notre façon de les aborder. L’épidémie a aussi révélé l’influence des personnes vivant avec le VIH ou affectées par celui-ci, qui se sont rassemblées pour briser la loi du silence, refuser l’exclusion dans l’accès au traitement et réclamer la protection des droits de l’homme. Cette publication arrive à un moment où nous sommes confrontés à des défis sans précédent qui compromettent la lutte contre l’exclusion et la marginalisation, notamment le conservatisme croissant, la contestation du multilatéralisme et de l’État de droit et le rétrécissement du champ d’action de la société civile.
Notre histoire commune renferme une force mobilisatrice nous dictant que les défis actuels peuvent et doivent être surmontés. Comme nous le rappellent les articles de cette section, le monde s’est doté d’un programme mondial en matière de développement durable ― un programme transformateur fondé sur la justice sociale et l’État de droit ― qui établit une vision pour mettre fin à l’épidémie de sida en tant que menace pour la santé publique d’ici à 2030. Nous disposons de puissants outils scientifiques et médicaux et de partenariats novateurs autour desquels se regroupent les pouvoirs publics, la société civile, les chercheurs, les organisations internationales et d’autres parties prenantes. Nous avons réellement toutes les raisons d’espérer que le monde tienne sa promesse de faire de l’épidémie de sida une chose du passé ― mais beaucoup reste à faire, comme l’a souligné le Secrétaire général de l’ONU dans son récent message à l’occasion de la Journée mondiale du sida 2017.
La question est la suivante : aurons-nous le courage de faire ce qui est nécessaire pour réduire la vulnérabilité au VIH et élargir l’accès de tous aux services de santé ? Je crois que les leçons tirées de la riposte au sida nous éclairent sur la nature des politiques et des pratiques à mettre en œuvre pour donner le pouvoir au « citoyen mondial en matière de santé » en tant que personne qui connaît ses droits et qui peut exprimer ses préoccupations, dénoncer les injustices et demander des comptes aux décideurs.
Les approches communautaires et fondées sur les droits ont été la clé de nos réalisations dans la riposte au sida. Nous devons nous appuyer sur ces approches et ouvrir les programmes et les politiques de santé à la participation active du public. Comme le Secrétaire général de l’ONU nous l’a également rappelé, « l’élimination des lacunes en matière de couverture des services passe par l’autonomisation des populations souvent laissées pour compte : les femmes et les filles, les jeunes, les populations clés et les personnes vivant avec le VIH. Les programmes nationaux de riposte au sida doivent tous comporter un volet important dédié à l’autonomisation des communautés ainsi que des efforts spécifiques pour éliminer les obstacles juridiques et politiques ».
Pour lutter contre la corruption systémique dans le secteur de la santé, nous avons besoin de soutien, d’information et d’outils institutionnels nous permettant de réclamer une action plus ferme et concertée en faveur de la bonne gouvernance et de la transparence, d’améliorer l’autonomisation par le droit, de financer les organisations de la société civile et de renforcer les mécanismes légaux de responsabilisation des pouvoirs publics.
Comme cette section nous le rappelle également, il reste des progrès à accomplir dans la transparence et l’accès aux données pour toutes les communautés. Garantir le droit à la santé nécessitera encore beaucoup plus de plaidoyer indépendant et de responsabilisation. Or, les Nations Unies et les associations de la société civile sont en position de force pour fournir ces deux éléments. Il est essentiel que les États et les donateurs s’engagent à instaurer et à préserver un environnement juridique et politique propice à la mobilisation des citoyens.
Enfin, plusieurs articles nous rappellent que l’élimination de la discrimination dans les milieux des soins de santé et dans l’application de la loi ― entre autres domaines où la discrimination est omniprésente ― doit devenir une priorité internationale. Au cœur du programme des ODD figure la promesse de ne laisser personne pour compte. Or, la discrimination crée de facto des obstacles à la couverture de santé universelle et à la recherche de soins, et elle empêche un grand nombre de personnes d’accéder aux services de santé de toutes sortes.
Le message qui se dégage de cette section spéciale est qu’il est de notre responsabilité morale et juridique d’agir. Nous devons nous appuyer sur les leçons du passé en matière de droits pour trouver des moyens novateurs d’élargir la protection, de promouvoir l’égalité entre les sexes, de soutenir la société civile et l’engagement communautaire, de renforcer la responsabilisation et de réduire le fossé qui s’est creusé entre les nantis et les démunis en matière d’inclusion. Comme l’a fait remarquer le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme lors du Forum social du Conseil des droits de l’homme de 2017 : « Les principes de dignité humaine et d’égalité ouvrent la voie à de meilleurs résultats lorsqu’ils sont placés au cœur même des politiques. »
Michel Sidibé est le directeur exécutif de l’ONUSIDA, le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida.
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